Roulements de tambours. Quelque chose se prépare. Un homme entre. Il porte une jupe. Il parle au public.
LE MAJORDOME - Attention, attention ! Mesdames et messieurs ! Votre vigilance s'il vous plaît ! Venez admirer le plus merveilleux, le plus fantastique, le plus monstrueux, le plus inquiétant, le plus beau des spectacles ! Mesdames et messieurs, en exclusivité aujourd'hui dans VOTRE ville, pour une poignée de centimes, vous allez enfin savoir... ce qu'il y a sous les jupes d'un majordome ! Votre vigilance s'il vous plaît ! Sous les jupes d'un majordome, mesdames et messieurs... il y a le cancer et le coca cola, des injustices et du café, il y a des amoureux et des bancs publics, il y a peut-être la peste mesdames... il y a des trentenaires, des couples mariés, des miséreux sans doute, comme partout, sous les jupes d'un majordome il y a des hommes trompés, des femmes nues et des carottes de glace ! Il y a aussi des choses sans suite, des suites sans choses... sous les jupes du majordome l'angoisse et la chaleur des prisons !... Sous les jupes d'un majordome il n'y a pas de frontières, il n'y a sans doute que des salopes qui élèvent leurs petits, et quelques idées de philosophe en carton-pâte. Il y a des passants, il y a des ivresses et, bien sûr, un ou deux mots de trop. Sous les jupes d'un majordome comme partout messieurs dames, il y a des femmes beaucoup trop belles, des boiteux, des camions poubelles et des poubelles sans camion, des orages et des cornemuses, des carnavals, des prolétaires, des rois, des reines, et des ripostes, des fanfreluches, des boléros, des estafilades et des rouflaquettes, des saltimbanques, des roubignolles, des cacahuètes et des catacombes. Sous les jupes d'un majordome, messieurs dames, pas d'entourloupes, pas d'entrechats, jamais d'entrecôtes. Il y a Van Gogh ! Il y a Dieu et tous les autres ! Sous les jupes du majordome il n'y a pas que des absents ! Il y a des fleurs ! Parce que les fleurs ça ne se mange pas ! Enfin ça dépend. Personnellement, moi j'aime beaucoup les tulipes, personnellement. Mais ça n'engage que moi bien sûr. Vous n'êtes pas obligés d'être d'accord bien sûr ! Moi, j'avoue, j'aime bien... j'aime bien les tulipes. Enfin, bon, ça n'en...
Un spectateur monte sur scène, sans aucune gêne. Il coupe la parole au majordome.
LE SPECTATEUR - Monsieur, monsieur ! Par hasard, sous votre jupe, y'aurait pas un cottage en Irlande devant la mer ?
LE MAJORDOME - Vous voulez dire : un cottage ?
LE SPECTATEUR - Un cottage. C'est comme ça qu'on dit.
LE MAJORDOME (essayant plusieurs façons de prononcer le mot) - Un cottage. Cottage. Cottage. Cottage. Un cottage. En Irlande. Devant la mer. Devant la mer. Devant la mer... credi. Ah ah. Tiens, en voilà une idée... Je vais répondre à votre question Monsieur, si vous répondez à la mienne. Quelle est ma date de naissance ?
LE SPECTATEUR - Mais... euh. J'en sais rien.
LE MAJORDOME - Allez, allez, creusez-vous la cervelle bon sang ! Ah j'adore, j'adore les devinettes ! Et les tulipes !
LE SPECTATEUR - Euh. Vendredi 14 mars 1978 ?
LE MAJORDOME - Mais non enfin !... Ça, c'est le jour où le cheval de Marie a sauté la barrière et s'est fait écrabouiller par le train qui venait de Dunkerque. Dommage.
LE SPECTATEUR - Samedi 17 septembre 1988 ?
LE MAJORDOME - Bon sang, êtes-vous stupide ? Ça c'est le jour de la révolution des craies. Sacré bordel d'ailleurs. Surtout du côté des enseignants... Les pauvres. Sans craies, aucune imagination. Heureusement, tout est rentré dans l'ordre.
LE SPECTATEUR - Ah bon ? Comment ça a fini cette histoire ?
LE MAJORDOME - Peu importe. Contente-toi de deviner.
Un temps.
LE MAJORDOME - Allez, allez, un peu de jugeote que diable !
LE SPECTATEUR - Euh. Lundi 31 janvier 1989 ? Non, 1987 ! 1984 !
LE MAJORDOME - C'était un vendredi, pas un lundi, voyons ! Et ce n'est sûrement pas le jour de ma naissance. (Un temps.) Ce jour-là, Dieu est mort.
LE SPECTATEUR - Ah pardon, je savais pas... Je suis désolé.
LE MAJORDOME - Ne t'en fais pas pour ça. Tu ne pouvais pas savoir. Et puis, c'est du passé. Je n'ai plus envie de parler du passé. Tant pis pour toi, tu ne sauras pas.
Un temps. Interrogatoire. Chaise. De temps en temps, petites claques derrière la nuque.
LE MAJORDOME - Dis-moi, que fais-tu dans la vie ?
LE SPECTATEUR - Je claudique.
LE MAJORDOME - Je claudique, MONSIEUR.
LE SPECTATEUR - Pardon. Je claudique, Monsieur.
LE MAJORDOME - Bien. Donc, tu claudiques ? Et depuis combien de temps claudiques-tu?
LE SPECTATEUR - Une dizaine d'années et des brouettes, Monsieur.
LE MAJORDOME - Et que fais-tu des brouettes ?
LE SPECTATEUR - Je voyage. Monsieur.
LE MAJORDOME - Tu as toujours voulu claudiquer ?
LE SPECTATEUR - Non, Monsieur. Quand j'étais petit je voulais être incongru.
LE MAJORDOME - Et tu n'y es pas arrivé ? Tu as essayé ?
LE SPECTATEUR - Oui. Monsieur. J'ai essayé. Mais je ne pouvais pas, j'étais monstrueux. Je claudique par défaut, je ne sais rien faire d'autre. Monsieur.
LE MAJORDOME - Et quand tu étais petit, tu aimais faire quoi d'autre ?
LE SPECTATEUR - Crapahuter.
LE MAJORDOME - Crapahuter ? Et si tu devais faire quelque chose de ta vie, là, tout de suite, quelque chose de complètement nouveau, qu'est-ce que tu ferais ?
LE SPECTATEUR - Peut-être que je vous tuerai.
LE MAJORDOME - Viens, je vais t'aider.
Le majordome soulève légèrement ses jupes et invite le spectateur à se glisser dessous.
en fait ce texte est une ébauche, et c'est surtout le personnage du majordome qui m'intéresse. Après avoir pensé l'intégrer dans nombre d'histoires toutes plus tordues les unes que les autres, je pense lui avoir trouvé une place qui modifierait essentiellement la partie de dialogue entre le spectateur et lui. une place dans une histoire, donc. c'est peut-être une erreur je ne sais pas.
je suis en train d'écrire une pièce (d'où les quelques textes "théâtre" que j'ai postés ici) et je galère. avis à ceux qui ont envie d'exercer leur sens critique... je suis prête à tout entendre.
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