C'est la première fois depuis plusieurs années que j'écris sur du papier et la première constatation qui s'impose est que j'écris vraiment mal. Ce cahier est vieux. Demain il sentira bon. Mais il fait nuit et cette nuit sent mauvais. J'entends quelques cris, ça ne m'inquiète pas. Qui s'inquiète aujourd'hui d'un hurlement après un bruit de verre brisé ? Et puis, si c'est vraiment un crâne qui a heurté une vitre, c'est peut-être un jeu simplement. Ce cahier, si vieux soit-il ne compte que quelques feuilles écrites. Sur la première, on lit :
"Mardi 24 juin 2003 22h23 Du jour où j'ai compris qu'il y avait un problème"
Le crayon à papier est largement effacé depuis le temps et je crois que ça m'arrange parce que le peu que j'arrive à lire me fait pitié.
J'écris à la lumière d'un vieux téléphone, sans doute aussi vieux que ce cahier ; ils vont bien ensemble et me font penser au moment révolu où ils ont été jeunes et clinquants, et je me dis qu'ils ne devaient pas être moins élégants que là maintenant, dans mes mains.
J'écris oui, un peu bêtement, pour rester éveillé mais je ne dormirai pas de toute façon. Cette nuit sent mauvais. Pour essayer de comprendre quelque chose alors. Cet espoir fou d'avoir enfin un coup de couteau véritable en pleine gorge, hurler sa vie, et enfin, respirer. Cela n'arrivera pas. J'ai un couteau mais plus de gorge.
J'écris mais je voudrais parler, parler à un enfant âgé dont je ne connaîtrai ni le prénom ni les yeux. Juste entendre un thorax irrégulier. Un enfant âgé, tu sais, qui oublierait juste pour ce soir, juste une fois, qui oublierait de me proposer une tequila, une pipe ou un mouchoir. Le crâne sanguinolent de tout-à-l'heure est en train de se battre avec un scooter à l'arrêt. Je pense à Descartes. J'espère que ma vie sera "utile à quelques-uns sans être nuisible à personne et que tous me seront gré de ma franchise". J'ai aimé retrouvé ce morceau dans le crayon à papier. Oui j'espère.
Cette nuit devient tout-à-fait nauséabonde désormais. Il y a une peur timide qui s'installe. Qui s'installe en même temps que des voix supplémentaires autour de l'homme au scooter. Je repense à un chinois qui s'était pris un velux sur le front et que j'avais ensuite recousu. Il y a mille raisons pour que ce pauvre type ait vraiment des morceaux de verre en travers du crâne et que je sois un salaud de ne pas lâcher ce téléphone et ce cahier. Cette pensée n'est même pas dérangeante. Quand il aura suffisamment purgé son sang pour sentir à nouveau la douleur, il saura bien faire la différence entre un épi de cheveux et un tesson de bouteille.
Je parcours rapidement les murs de cette pièce. Aucun enfant âgé n'a pris position. Le piano me donne envie d'être pianiste. Le bureau me donne envie d'être poète. La fenêtre me donne envie. Je pense à tous les enfants âgés qui auront une tequila, une pipe ou un mouchoir ce soir. Comme toujours, comme éternellement, juste après, me reviennent les morts qui ont compté. Tous les morts que j'ai vu partir n'ont pas compté. Mais ces quelques-là ont compté oui. Il n'y a pas de larmes. Cette nuit puante ne les mérite pas. Je ne suis pas triste, la tristesse c'est autre chose.
Un coup de frein brutal suivi de cris me tire de l'Écosse où je m'étais engagé. Ça ne m'inquiète pas. Toutes mes histoires finissent à Edimbourg.
J'ai bien aimé aussi mais pas autant que celui sur la solitude qui reste mon préféré... Merci pour ces 6 textes qui crédibilisent ce site et me remettent pas mal en question^^
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