Je suis dans le jardin, de chaque côté, derrière les haies, les haies qui ne sont pas encore assez hautes (qui ne seront jamais trop hautes, mais moi, pour tout dire, je m’en fous) de chaque côté, des voix des voisins à gauche, le jeune père qui siffle « je suis libertine » en regardant son fils courir après mon chat qui court après les poules ce sont de jeunes poules ce même père a tué d’autres poules, il y a quelques années quand sa femme était enceinte PARCE QU’ILS ONT EU PEUR maintenant il n’y a plus de grippe aviaire (heureusement qu’ils n’ont pas pris de cochons) il rentre de vacances, il est heureux et il siffle derrière la haie
à droite, ce sont de vieux paysans de vieux paysans qui éclatent en des disputes incompréhensibles un couple de paysans un couple dont le langage est un mystère tout à fait entier, un secret à l’état pur qu’ils crient entre leurs murs de pierre deux cœurs au travail sans cesse
au milieu c’est moi, vainement moi, vainement là avec mon attente, avec mes sourires, avec mes allées et venues, avec mon amour et ce jardin qui n’est jamais le même je n’ai pas demandé tout ça je n’aime pas les haies je n’aime pas les maisons j’observe ce jardin qui n’est jamais le même les changements infimes qui me semblent si brusques si fatals si tragiquement beaux si fragiles aussi c’est bête non
les cerisiers sont envahis par les pucerons qui sont mangés par les fourmis pommier coupé greffe du pommier réussie épinards qui montent terre retournée le purin d’ortie dans la grande poubelle verte je guette l’arrivée des hannetons
dans l’aquarium (je n’aime plus les aquariums) dans l’aquarium un poisson est mort
ici il n’y a pas d’impasse, tout se mélange rien ne reste propre très longtemps sur d’anciennes traces on pose de nouvelles traces des taches qui tour à tour s’effacent, restent ou pourrissent se rencontrent s’oublient deviennent inutiles, obsolètes, inexistantes de petits anachronismes de minuscules témoins qui ne témoignent plus de rien
je réponds aux questions je souris je ne réponds pas les poissons continuent de flotter, le ventre à l’air sous les néons trop chauds l’herbe est tiède, me réconforte elle prend les fleurs et les jette je sais que sous mes pieds, mille présences s’effondrent je ne prétends rien le sol devient sans doute aussi lourd que le reste je ne le porterai pas je ne porterai rien j’oublie le jardin j’oublie que c’est peut-être mon jardin j’oublie les voisins et ma vanité je reste là et sans marcher je laisse faire le sol.
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