Par un beau jour de printemps, Renoir, un imposant nénuphar rouge aux allures de grand seigneur, rencontra lors de sa promenade matinale une innocente petite fleur blanche qui s’était apparemment fourvoyée parmi les joncs en bordure de l’étang. Curieux, il s’en approcha et lui demanda :
- Que faites-vous ici, petite dame blanche ?
- Je vais vers mon dernier silence, lui répondit-elle stoïque, je cherche le repos au plus profond de l’eau.
- Malheureuse ! s’écria le nénuphar indigné que l’on ose venir mourir ainsi sur les eaux protectrices de son étang. Comment pouvez-vous songer au trépas alors que de l’innocence vous portez la robe ?
Offensée par de tels propos, la petite fleur blanche lui répondit :
- Gardez-vous bien de passer des jugements si hâtifs. Croyez-moi, l’innocence n’à que faire de la couleur de ma robe. Que je sois noire ou blanche ne change rien au sort qui est le mien. La douleur me tient désormais par la main et c’est elle qui m’accompagnera à demain.
À ces mots fort surpris et surtout honteux d’avoir parlé trop vite notre pauvre Renoir eut la présence d’esprit de se taire. Bien qu’il ne fût en rien semblable à Orphée, il voulait néanmoins détourner la triste fleur de ses sombres pensées. Il réfléchit un long moment et, imperceptiblement, du bout de son long pétiole immergé, tendit sa plus belle feuille flottante arrondie et charnue vers la rose perdue dans l’espoir qu’elle veuille bien venir s’y asseoir. Elle avait détourné la tête, murée un instant dans sa douleur, mais le vent lui souffla à l’oreille de ne point ignorer cet acte de compassion. Alors, presque à regret, elle vint s’asseoir prudemment sur la feuille offerte en forme de cœur et elle lui conta son histoire.
Elle était née aux abords d’un jardin fleuri, sur un ravissant rosier sauvage avec une multitude de délicates fleurs à son image. Très tôt elle avait fait remarquer à ses sœurs blanches que leur couleur était légèrement teintée de rose et elle avait exprimé sa curiosité pour toutes ces fleurs gracieuses et colorées qui semblaient flotter librement au vent dans le jardin avoisinant. Mais on se moquait éperdument de ses idées naïves et l’on essayait de décourager ses marques d’amitié que l’on disait mal placées de la part d’une fleur d’églantier.
- Qu’a-t-on besoin de faire de nouvelles connaissances ? Insistaient ses sœurs blanches, nous sommes de même souche, nous poussons hautes et fières sur un arbuste vigoureux et non dans la terre du vulgaire.
Mais elle avait insisté ; elle voulait connaître d’autres fleurs et d’autres couleurs. Alors, on l’avait regardée de travers puis on lui avait tourné le dos. Elle était restée cruellement seule, retranchée au bout d’une branche de l’églantier lorsqu’un jour de grand vent une bourrasque plus violente que les autres l’avait emportée. C’est à peine si ses sœurs avaient daigné lever la tête, soulagées de la voir enfin s’éloigner. Longtemps elle s’était laissée porter dans l’air au gré des courants, animée par les pensées les plus tristes et elle avait atterri là, sur ce bassin tranquille, croyant trouver dans l’eau une forme de repos.
Renoir, qui, chose rare, l’avait écoutée sans aucune interruption, semblait maintenant fort agité. Ne pouvant se contenir, il lui dit humblement mais avec force conviction :
- Ce n’est pas aux portes de la mort que vous avez frappé, petite dame blanche, mais à la porte de l’amitié que je vous offre ici en toute sincérité. Regardez autour de vous ; nous autres nymphéas sommes friands de couleurs : blanc, rose, rouge, jaune, orange et j’ai même entendu dire que dans certaines contrées on rencontrait des nénuphars bleus. Mes feuilles sont grandes et fermes, elles pourraient vous offrir protection contre toutes sortes de nuisances...
Comme elle ne répondait pas et de peur de l’avoir peut-être un peu effrayée, il s’empressa d’ajouter :
- Vous pourriez vivre ici en toute indépendance. Nous, les lis, serions ravis de vous accueillir. L’eau n’a pas de couleur, elle reflète tous les cœurs. Mais si, justement, de cœur vous appartenez toujours au monde d’en haut et qu’ici vous ne vous sentez point dans votre élément, je le comprends et vous enjoins alors de monter dans le pré où vous vous trouverez en parfaite harmonie avec toutes les fleurs sauvages de la vallée.
La petite églantine regarda un moment les rainettes qui s’éclaircissaient négligemment la gorge en préparation pour leur concert nocturne puis elle leva doucement les yeux vers le champ fleuri en bordure de l’eau où folâtraient pâquerettes, pissenlits, coquelicots et bleuets. Elle vit même des boutons d’or qui brillaient comme de véritables pièces d’or. Finalement elle tourna sa corolle légèrement rosacée vers le nénuphar et lui fit un large sourire car elle avait enfin compris où elle voulait véritablement vivre.
J'ai aimé ma lecture, c'est si je peux me permettre ce mot c'est ravissant, et bien conté, merci du partage. L'amitié a parfois de drôle de choix (sourire)
J'avais commencé à écrire un poème sur l'intolérance et le racisme mais on m'a dit dit que ça avait plutôt un coté incendiaire alors j'ai écrit ce conte à la place.
Bonjour libellules, Bravo ! Vous savez voler et écouter au-dessus des étangs, mais également si joliment nous conter ce qui s'y passe... Une belle poésie. amicalement
Bonjour Jean-Louis, Des fois, je me dis que je ferais bien de rester à survoler mon étang il y en a un juste à côté de chez moi, plutôt que d'aller rejoindre la gente bipède qui n'est pas toujours facile à comprendre.
Bonjour Libellules. C'est beau à couper le souffle. Des images et des couleurs s'enchaînent et se succèdent. Merci pour ce texte magnifique, ce sentiment de fraîcheur. Bravo !
J.
Une insurrection des vulnérables face aux infaillibles
quel plaisir j'ai pris en parcourant ton magnifique conte, plein de bonté et d'amitié, LIBELLULE! c'est vraiment ravissant, et tu es douée pour écrire de splendides histoires! surtout, continue...
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