On pouvait entendre, en tendant l'oreille, le tic tac du réveil posé sur le buffet. Mais le plus souvent, il était couvert par le ronflement du poêle qu'on avait bourré à bloc afin de mieux lutter contre le froid vif qui assiégeait la maison. Il ne faudrait pas imaginer une grande maison confortable. Deux pièces en faisaient toute la partie habitable : la cuisine et la chambre. La chambre contenait trois lits et une armoire. C'est assez dire le peu de place dont on disposait pour y circuler. Le plus commode était souvent de passer par-dessus les lits. Bien entendu, les murs en étaient gris et sales. Ils n'avaient jamais, je crois, reçu la moindre couche de peinture, et le papier peint leur était inconnu. La pièce était humide et froide en hiver. Dans la cuisine, plus humide encore, avec le poêle-cuisinière tenaient difficilement le buffet et une table assez grande pour qu'elle pût, à la fin, accueillir huit personnes. L'évier de pierre où trônait le seau d'eau exhalait des odeurs âcres que l'enfant supportait mal ; c'était le coin où il allait le moins souvent possible, juste parfois pour la corvée d'eau au puits du jardin. Derrière la cuisinière de fonte noire, on pouvait voir sur le mur de la cheminée des coulées durcies et luisantes comme de la cire. Enfin à droite de la porte d'entrée, se trouvait la fontaine en tôle émaillée où l'on faisait une toilette très succinte, fontaine qu'il fallait remplir plusieurs fois par jour, tenant le seau à bout de bras. Le soir, après un repas frugal mais suffisant pour apaiser la faim, on veillait un peu en hiver. Les plus jeunes enfants devaient aller se coucher. Seul l'aîné restait, pour faire tranquillement ses devoirs sur la table vite débarrassée. Le père, mineur de fond, n'était pas rentré quand il travaillait "de nuit". La mère alors s'asseyait devant la cuisinière, les pieds posés sur la porte du four grande ouverte. Elle commençait son travail de couture ou bien elle tricotait. L'enfant, ses devoirs terminés, rangeait son cartable après en avoir tiré une feuille de papier canson et prenait le seul livre qui reposait sur le buffet. C'était un dictionnaire dont il feuilletait ardemment les pages, s'arrêtant sur certains mots qui l'emportaient dans un autre monde. Il s'arrêtait quelquefois sur un portrait d'homme célèbre et le reproduisait avec application, le plus souvent à l'encre de chine. Parfois la mère entonnait un chant du folklore local. Un jeune homme se lamentait du départ de la jeune fille qu'il aimait : "Et la Yéyette, où donc elle est ?". L'enfant écoutait cette petite voix aigüe et douce qui le troublait.
Enfin, un bruit se faisait entendre dehors, derrière la porte d'entrée. Le père rentrait du travail, ayant parcouru, de nuit, une douzaine de kilomètres à vélo, parfois dans la tempête de neige. Quand la porte s'ouvrait, apparaissait une silhouette couverte de flocons. Il s'ébrouait avant d'entrer, posait sa lampe à acétylène qui nous dépannait bien lors des coupures d'électricité, assez fréquentes en ce temps-là. On avait déjà posé une assiette sur la table. Il ne disait rien, s'asseyait et on l'entendait manger sa soupe. Il fixait un regard curieux sur le fils qui terminait son dessin, rangeait ses affaires, puis se déshabillait pour enfiler une longue chemise de nuit. L'enfant embrassait ses parents pour aller dans la chambre se jeter sous le drap. Alors coulaient quelques larmes avant que le sommeil ne l'emporte tout entier. |